La bactérie de la lèpre, productrice de cellules souches
C’est du jamais vu dans la nature : alors qu’ils cherchaient à comprendre comment la bactérie Mycobacterium leprae, responsable de la lèpre, se répandait dans l’organisme, des scientifiques écossais ont compris qu’elle reprogrammait des cellules nerveuses en cellules souches afin d’intégrer ensuite n’importe quel tissu adulte. Une découverte qui devrait ouvrir de belles perspectives thérapeutiques.
La lèpre
affecte l’humanité depuis des millénaires, pourtant elle regorge de
secrets. On sait que cette maladie, caractérisée par des lésions
cutanées et une perte de la sensibilité des membres, est due à une
neurodégénérescence, elle-même causée par la bactérie Mycobacterium leprae. Celle-ci est particulière, car elle a perdu plus de 2.000 gènes au cours de son évolution, notamment ceux lui permettant de synthétiser un flagelle (cil locomoteur). Elle ne survit qu’en présence de son hôte et ne peut être cultivée en laboratoire.
De ce fait, les études sur la maladie ne sont menées
que sur des personnes infectées, des souris génétiquement modifiées ou,
étrangement, sur des tatous, sensibles à l’infection. On sait aussi que
M. leprae infecte préférentiellement les cellules de Schwann, des cellules du système nerveux périphérique regroupées autour des axones des neurones. Ces cellules constituent un bon isolant électrique, pour un meilleur transfert de l’information nerveuse.
Malgré les contraintes que l’étude de la maladie impose, quelques laboratoires travaillent sur la lèpre. L’un d’entre eux, à l’université d’Édimbourg
(Écosse), a tenté de comprendre comment la bactérie se répandait dans
l’organisme sans appendice locomoteur. Les scientifiques ont alors fait
une découverte inattendue, publiée en exclusivité dans la revue Cell.
Des cellules de Schwann devenues cellules souches
Chez des souris, des cellules de Schwann ont été récupérées et infectées par M. leprae. Après analyse, les auteurs se sont rendu compte que les gènes caractéristiques de ces cellules nerveuses étaient éteints, leur faisant perdre leur fonction. En revanche, les gènes du développement, propres aux cellules embryonnaires, étaient actifs. La bactérie semble avoir piraté ses hôtes.
Ces cellules infectées ont ensuite été réinjectées à des rongeurs.
Certaines d’entre elles ont migré et se sont fixées dans les muscles
quand d’autres ont montré leur aptitude à devenir du tissu osseux ou
graisseux. Ainsi, M. leprae semble avoir transformé ces cellules adultes en cellules souches.
Ce schéma, issu de la publication, reprend le processus infectieux de M. leprae.
Après infection des cellules de Schwann (première étape, en haut), les
bactéries les reprogramment pour en faire des cellules souches (progenitor stem-like cells). Soit elles se différencient directement (en muscle lisse ou en muscle squelettique), soit elle choisit de recruter des macrophages (cellules de l'immunité) qui vont se regrouper puis être relâchés après infection. © Masaki et al., Cell
M. leprae se déplace en cellules souches
Grâce à cela, elle peut être véhiculée dans tout
l’organisme, pouvant affecter n’importe quel organe. Les chercheurs ont
remarqué que durant le transit, la cellule souche infectée sécrète des chimiokines, des protéines attirant vers elles des cellules immunitaires qu’elle peut aussi intégrer pour disposer de nouveaux moyens de diffusion. C’est par ce biais qu’elle se répand dans le corps humain.
Cette découverte, inédite, soulève de nouvelles questions. Comment la bactérie
induit-elle ce retour des cellules différenciées à l’état juvénile ?
Quel est réellement le pouvoir de ces cellules souches ? Peuvent-elles
se différencier en n’importe quels tissus ou sont-elles limitées à
seulement quelques-uns ? Existe-t-il d’autres bactéries qui utilisent le
même procédé ? Les investigations vont se poursuivre en ce sens.
À long terme, plusieurs applications pourraient
découler de cette étude. Dans la lutte contre la lèpre d’abord. Il
existe bel et bien des médicaments contre cette maladie, mais ils ne sont fournis qu’une fois les symptômes
visibles, quand il devient difficile de la traiter efficacement. En
détectant plus tôt des marqueurs moléculaires caractéristiques de ces
cellules souches, les scientifiques espèrent établir un diagnostic plus précoce et réaliser une meilleure prise en charge.
La bactérie de la lèpre au secours de l’humanité ?
D’autre part, on espère utiliser les propriétés de M. leprae pour créer des cellules souches à partir de cellules adultes afin de développer de nouvelles thérapies en médecine régénérative. La performance a déjà été réalisée par des Japonais, à l’aide de virus qui viennent moduler l’ADN nucléaire. Un exploit qui a valu le prix Nobel de médecine 2012 au chef d’équipe, Shinya Yamanaka.
M. leprae aboutirait au même résultat sans jamais entrer dans le noyau, évitant les risques de mutation génétique qui font débat. Des scientifiques chinois s'en sont rapprochés récemment en transformant des cellules récupérées dans l’urine en neurones, à l’aide d’un chromosome bactérien.
Après les initiatives originales du comité Nobel de
ces dernières années, attribuant notamment le prix Nobel de la paix à
l'Union européenne, oserait-il un jour décerner la récompense ultime en
santé à M. leprae, pour sa contribution au développement de cellules souches utilisables dans des thérapies humaines ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire